Elle se souvenait du petit pays, où elle avait grandi entre les arbres, les prés et les chaumes. Elle se souvenait du grand fleuve, qui scintillait au loin. Elle se souvenait de sa flamme intérieure, qui l'avait poussée à peindre la vie avec ses couleurs et ses formes.

Le Petit Pays

D'abord il y eut le petit pays, d'arbres, de prés et de chaumes, d'étés qui n'en finissent plus, de bêtes, et d'hommes rudes, de passions cachées aussi.

Et, au loin, le grand fleuve, beau et inquiétant.

Et puis cette flamme intérieure, l'irrépressible désir de jouer avec la sensualité magique des couleurs et des formes, de savoir montrer la poule caquetante, la branche noueuse, la lumière d'été : passion et refuge.

Ensuite vient la vie, ses cheminements tortueux, joies et peines, petits triomphes et grands abattements, pulsions et secrets. Délice de savoir saisir le fugitif et le transitoire dans la magie d'un dessin ou d'une peinture. Fierté discrète et travail heureux à la découverte du métier, des possibilités de la matière et des savoir-faire qui démultiplient ses capacités : appartenir de plein droit à cette communauté un peu en marge des artistes.

Le petit pays - Années 70 - Pastel gras - 22x42cm

Trouver son chemin dans les dédales de l'univers pictural des années soixante n'était pas chose facile. Bientôt, Françoise Bertsch ressentit la nécessité de chercher au-delà des éléments figuratifs qui prédominaient jusqu'alors dans son travail. Elle s'aventura dans cet univers de traces, de symboles et d'intuitions par lequel chacun de nous est unique, mais se rattache aussi à l'immense flux de l'existence.

Les matières, les couleurs, les rythmes devinrent les instruments privilégiés au travers desquels se manifestent sa personnalité, sa perception du monde, et peut-être, plus généralement, les pulsions essentielles que nous partageons tous.

Jubilation évidente de la poursuite de ses propres vérités ; mais aussi, combat de l'artiste face à la béance d'un néant toujours menaçant contre lequel une des armes les plus sûres est de créer.

Basse-cour - Années 60-70 - Pastel à l'huile - 29x43cm

Effet d'écho

A travers le temps, les images du Petit Pays ressurgissent constamment.

Témoins ces deux œuvres récentes : dans l'une s'impose le sentiment de protection apporté par un coin de nature blotti dans les replis du paysage ; et l'autre se souvient des entrelacs sauvages des grandes herbes.

Supports / Surfaces

La thématique du Petit Pays trouve, dans l'œuvre de Françoise Bertsch, une nouvelle extension au cours des années 70-80; ceci en résonance avec le mouvement Supports / Surfaces qui s'attache alors aux rapports de I'expression artistique avec les spécificités de la matière sur laquelle elle se déploie.

Ici, les objets, les tissus, les outils qui ont environné l'enfance et la jeunesse de l'artiste deviennent une sollicitation, un appel pour revivifier par la magie de la peinture ces traces du passé.

De vieux textiles, négligés, rejetés, imposent alors leur présence touchante de témoins d'une vie oubliée : vieux sac à grain en jute, ou lingeries en lin qui traînaient au fond des armoires.

Mais aussi des éléments d'outillages anciens abandonnés dans les granges vont entrer dans des assemblages, dialoguant avec bois flottés, écorces et plantes séchées.

La forme est surprenante : des parallélogrammes mordus sur deux cotés d'un arrondis ; grande couture en diagonale. La matière en semble, sous la couleur partout jaillissante, rude, sévère : du chanvre.

Quelque jeune fille du temps passé le tissa, le tailla, le broda et s'en fit un trousseau selon un modèle archaïque. Puis progrès et mode imposèrent plus de douceur, et toute cette rusticité fut oubliée au fond d'une armoire familiale...

Pour l'artiste des années quatre-vingt à l'affût de ses racines, une évidence s'imposa : le toucher rêche et frais de ces tissus évoquait, en même temps que le support des tableaux, toute une ambiance de vie : longs et patients travaux dans la monotonie douce des soirées, obscurité et sensualité des chambres, traditions féminines fidèlement observées.

La peinture joua ici le rôle du révélateur photographique : le geste et la couleur trouvèrent naturellement leur danse au milieu des surprises, des accidents du vieux matériau et de ses raides découpures : dialogue avec les impressions de l'enfance, les images de l'inconscient, les traditions de l'esprit et du corps plus ou moins occultées.

Echos des intuitions et des savoirs innombrables que recèle l'imaginaire.

Chemise, 1990, Acrylique sur toile de chanvre, 160x130cm