Pauline Effantin livre son univers lors d'un entretien. L'atelier, accueillant, où l'on voudrait passer quelques heures tant on s'y sent bien. On y découvre ses mobiles, du plus petit au plus grand, qui tous, demandent une étude d'équilibre qui ne se fait pas au hasard.

J'ai cru comprendre que vous aviez une formation d'ingénieur, comment vous retrouvez-vous dans le domaine du mobile aujourd’hui ?



Effectivement, j’ai d'abord fait des études d'ingénieur agronome, voie logique pour quelqu'un de curieux et passionné de sciences naturelles. J’étais depuis toujours contemplative et rêveuse, à ramasser chaque brindille qui me touchait, mais bien trop jeune pour savoir ce que je voulais être, ou plutôt, ce que j’étais.

Marteaux de ciseleur, compas et pinces, venues tout droit du Japon.

Comment vous est venue votre vocation artistique ?

Je ne sais pas si je peux me prétendre artiste. Je suis très fière de me sentir artisane, de travailler avec mes mains, mes yeux, mes outils. Avec le recul, je sais que j’ai toujours eu ça en moi, mais j'ai mis vingt ans à le découvrir et à l'assumer. Que mes qualités intellectuelles, manuelles, scientifiques soient au service de la création d’objets porteurs d’émotion et de beauté me fait sentir parfaitement à ma place aujourd’hui, dans mon atelier.

Parlez-nous de votre parcours ?


La première année, j’ai travaillé des bijoux, des assemblages de bois avec ce que le trouvais dans la médina de Tunis. J'ai tenté de me former en observant le plus possible les artisans bijoutiers. Mais c’était trop limité et je voulais apprendre précisément, pour être libre de mes créations. Après un « parcours du combattant » administratif, j’ai intégré en 2016
 le centre sectoriel de bijouterie/joaillerie de Gammarth. J'y ai été très bien accueillie par l'équipe de professeurs, et j’y ai appris, jour après jour, avec mes jeunes collègues tunisiens, les bases de l'artisanat du bijou et les techniques de travail du métal. J'ai adoré ça !

"Je voulais apprendre précisément, pour être libre de mes créations"

Qu'un dixième de millimètre conditionne la beauté d'une pièce, que chaque étape 
technique, essentielle, demande du temps et de la persévérance, quitte à tout recommencer plusieurs fois, et qu'au final, on voit un bijou, simple et émouvant, je trouve ça passionnant.
 Au printemps 2011, j’ai quitté le centre et installé mon atelier, d'abord à la maison, puis à Larouej à la Marsa.

Comment votre pratique a-t-elle évolué depuis vos débuts ?



J'expérimente et j’apprends continuellement. J'essaie de nouvelles choses, dont les mobiles, depuis quatre ans sont suspendus, et sur socle. Je cherche toujours de nouveaux outils ou accessoires, en dehors de mon secteur, j’observe beaucoup les artisans avec lesquels je travaille. Je farfouille chez les quincaillers, les vendeurs d'articles de pêche. Grâce à cela, je trouve de nouvelles solutions techniques pour améliorer mes créations et mieux mettre en valeur le bois que je travaille.

"Je crée une sorte de chorégraphie en apesanteur"

Que représentent pour vous vos premières œuvres ?



Je les regarde avec émotion en réalisant que j’ai commencé avec rien ! Une pince, une perceuse, trois perles et quelques morceaux de bois flotté… Je ne les referais pas aujourd'hui, car mes techniques et mon regard ont évolué, mais c'était le début d'une aventure dont je ne soupçonnais pas la suite.

Quelles matières employez-vous pour fabriquer vos mobiles ?



La matière au service de laquelle le me suis mise, c'est le bois flotté, que je ramasse sur les plages compulsivement depuis toujours. Ces pièces de bois, immenses ou minuscules, qui ont été sculptées par la mer, dégagent pour moi plus de poésie que beaucoup d'œuvres « humaines ». Je les travaille donc en tant que pièces uniques. Je m'adapte à chacune. Je crée une sorte de chorégraphie en apesanteur pour souligner leur graphisme et leurs nuances, leur énergie.

Boules de verre soufflé des ateliers de Sadika Keskes.

Pour cela, j'utilise pour contraster et équilibrer les assemblages, des matières comme le verre soufflé (des ateliers de Sadika ou de Palestine, d'où j'ai ramené des boules), des métaux (argent pour les bijoux, laiton, cuivre et fer forgé pour les mobiles). Ces derniers temps je travaille aussi avec des fluides, du plomb... Le cercle en métal est une constante, car cette forme m'est indispensable.

Vous viviez en Tunisie, qu'est-ce que ce pays vous inspire-t-il ?

La lumière de Tunisie et les plages où je marche tant me manquent dès que je n'y suis plus. Et puis j'ai surtout rencontré et fréquenté des artisans et des formateurs, vers qui je suis allée en ayant tout à apprendre, et qui m'ont beaucoup transmis.

J'ai l'impression que la Tunisie est un pays où tout est possible à celui qui trouve une voie, le veut profondément et va de l'avant. Depuis 2011, j'assiste à ce foisonnement de projets d'entrepreneurs, d'artistes, de créateurs dans les domaines culturel, artisanal, touristique... Je veux croire que le pays offrira bientôt toute la structure politique et administrative nécessaire pour porter cet élan le plus loin possible.