Bien avant que l’on parle de médiation culturelle, l’Atelier Besse ouvre ses portes aux enfants, au cœur de Tours. Un lieu pionnier où la main précède le discours, où l’art se transmet par le geste, la matière et la confiance.

Avant la médiation, il y avait la main. Avant les politiques culturelles. Avant les dispositifs. Avant même le mot.

Il y avait une porte ouverte, au centre de Tours. 152 rue Victor-Hugo.

Il y avait des enfants. Des feuilles. De la terre. Des encres. Des silences bruissants.

Et Genevieve Besse.

Avec André Besse, elle fonde dès les années 1960 ce qui deviendra bien plus qu’un atelier : un lieu de vie, de passage, de transmission organique. On ne parle pas encore de « médiation culturelle ». On ne parle pas d’« accès à l’art ». On ne parle pas de pédagogie innovante. On fait.

Les archives de presse de l’époque frappent par leur justesse instinctive. Les mots y apparaissent déjà comme un manifeste : « Épauler la créativité des enfants sans l’influencer » ; « Le droit de l’enfant à l’art » ; « Un trésor qu’il faut protéger ».

L’Atelier Besse n’est ni une école au sens académique, ni un centre de loisirs, ni une galerie classique. C’est un espace de confiance.

Les enfants y travaillent librement, sans modèle imposé, sans thème contraint. On les regarde faire. On accompagne sans corriger. Le geste précède le discours. La matière précède l’idée. L’expérience précède toute forme de jugement.

Sans le théoriser, l’Atelier Besse invente une forme d’« école libre de l’art », proche de ce que l’on appellera plus tard des pédagogies alternatives : autonomie, expérimentation, confiance absolue dans l’intelligence sensible.

Christophe Besse, leur fils, fait partie des tout premiers élèves. Il grandit littéralement dans ce lieu. Il apprend à regarder avant d’apprendre à nommer. Il comprend très tôt que l’art n’est pas une performance, mais une relation au monde.

Ce détail est essentiel, parce qu’il dit tout. L’Atelier Besse n’est pas un lieu que l’on fréquente : c’est un lieu qui forme. Un lieu modèle.

Un lieu populaire, au sens le plus exigeant

Ce qui revient avec insistance à la lecture des articles de presse, c’est l’ouverture. Ouvert à toutes et tous. Ouvert aux enfants de tous milieux. Ouvert à la ville.

Situé en plein centre de Tours, l’Atelier Besse n’est pas à l’écart. Il est là, au cœur du tissu urbain, comme une évidence. On y entre sans intimidation. On y revient. On s’y sent légitime.

En parallèle du travail avec les enfants, Genevieve et André Besse organisent des expositions d’une ambition remarquable. Lithographies originales, œuvres contemporaines majeures. Picasso, Braque, Miró, Giacometti, Kandinsky, Matisse, Calder… Les noms apparaissent dans les journaux presque naturellement, sans emphase. Et c’est peut-être là le geste le plus radical. Faire cohabiter, dans un même lieu, l’enfance et les plus grands artistes du XXe siècle. Sans hiérarchie. Sans sacralisation excessive.

Les œuvres ne sont pas des reliques. Elles deviennent des présences. Des horizons possibles. Des compagnons silencieux du regard en formation. Bien avant toute politique publique, l’Atelier Besse connecte Tours à l’art contemporain. Il façonne des regards. Il installe durablement une sensibilité artistique en Touraine. Il crée un socle invisible mais profond.

Ce n’est pas un lieu élitiste. C’est un lieu exigeant. Et profondément démocratique.

Ce que ces lieux font, longtemps après

Je ne suis pas de cette génération. Je n’ai pas connu l’Atelier Besse enfant. Et pourtant, je le reconnais immédiatement.

Parce que j’ai connu, moi aussi, ces lieux où l’on apprend par les mains. La terre sous les ongles. La peinture qui déborde. Le droit à l’erreur. La permission des tâtonnements.

Des lieux qui ne fabriquent pas des artistes, mais des êtres sensibles. Des lieux qui transmettent le beau sans jamais le figer. Ces lieux-là ne font pas du bruit. Ils travaillent en profondeur, sur le temps long.

Un socle pour une œuvre à venir

Ce que l’Atelier Besse a permis, il faut aussi le lire à rebours, dans l’œuvre de Geneviève Besse elle-même.

À partir des années 1960, nourrie de ses rencontres avec Bazaine, Ubac, Sonia Delaunay, Max Ernst ou Calder, elle expose en France et à l’étranger. Son travail circule. Son langage plastique s’affirme. En 1986, lors d’une exposition collective à Tokyo, les Japonais sont profondément marqués par ses œuvres réalisées sur fond de soie. L’année suivante, elle est invitée à revenir, seule.

Mais cette reconnaissance tardive ne surgit pas de nulle part. Elle est le prolongement direct de décennies de gestes transmis, observés, partagés. Le rapport au signe, à la trace, à l’espace et au temps.

Genevieve Besse a longuement travaillé en lien avec la poésie, dans un dialogue constant avec les écrivains et les poètes. Les livres d’art qu’elle crée deviennent des espaces de pensée autant que des objets plastiques. En 2010, avec Michel Butor, elle réalise Patience du poète – Impatience du peintre, un jeu de cartes littéraires sur papier chiffon : une œuvre où le temps, l’attente, le geste et le mot se répondent.

Tout cela était déjà là, en germe, dans l’Atelier Besse.

Dans cette attention portée au geste premier. Dans ce refus de contraindre. Dans cette manière d’ouvrir l’art plutôt que de le fermer.

L’Atelier Besse n’a pas seulement formé des enfants. Il a préparé une œuvre. Et, plus largement, une manière d’être au monde avec l’art.