Le regard de Frédéric de Lachèze, auteur, invite à suivre les lignes mélangées d'Alexandra, les couleurs tordues et visqueuses d'une réalité presque palpable.

S'il fallait d'un mot qualifier le travail d'Alexandra Pozzo di Borgo, celui de fusion serait sans doute le mieux adapté à ce cruel exercice de concision. L'acceptation commune et mécanique du terme - le passage d'un corps ou d'une substance d'un état solide à un état liquide, la perte de distinction entre deux entités - décrit à rebours la manière très particulière de l'artiste.

Les formes se côtoient, s'enlacent et s’éclipsent. Les lignes noires s'amollissent puis se redressent comme pour signifier les bords d’une étendue aqueuse soumise au mistral d'un pinceau aux poils métissés. Les couleurs se voisinent et s’enlacent en des figures fractales où les courbes deviennent de vaillants contreforts. La construction résulte d’une somme de mouvements complexes : tout se diffuse et tout se soutient à la fois. Voilà l'étrange paradoxe de ces acryliques sinueuses traitées en aquarelle, la vision d'un sujet limpide, dressé, fort de ses appuis, sûr de son dessin, loin du chaos initial. L’indistinct produit un concret dur comme la roche, le mélange une netteté réaliste.

Château de sable, Alexandra Pozzo di Borgo

Les sujets traités par Alexandra Pozzo di Borgo relèvent de cette logique de la fusion: reprendre les thèmes classiques de l'histoire des formes (atelier, nature morte, d'après les maîtres, sur le motif, vanités, etc … ) et les emmener vers soi pour faire tourner l’alliance et mélanger jusqu'à la dissonance. Comme le jazzman du fond de sa trompette convoque toutes les musiques pour tenir la note claire. La peintre acte la puissance de la représentation par les fusions. Elle noue le fil du voir allant d’un temps l’autre, d'un état l’autre, du liquide au solide, de l’étal du poissonnier aux intérieurs de Vermeer, en somme…